CHAPITRE II

Le crépitement de deux sabres laser se heurtant étouffa le halètement de Luke Skywalker. Le coup força Mara à reculer. Elle tituba. Luke sentit la Force couler autour d’elle et en elle.

Il tendit la main pour l’aider mais n’en eut pas le temps.

Mara roula sur la hanche droite, se releva et décrivit un arc de cercle avec la lame bleue de son sabre laser, des reflets dorés jouant dans sa chevelure rousse. Ses yeux verts brillaient d’une lueur sauvage.

Rien, dans son apparence, ne laissait deviner la maladie qui la rongeait.

Son adversaire sauta pour éviter l’attaque – peut-être moins haut et moins gracieusement qu’un autre Jedi… Corran Horn retomba sur ses pieds et fit passer son sabre laser à la lame argentée dans sa main gauche pour parer le coup suivant. Les lames étincelèrent de nouveau. Corran pivota sur le pied gauche et essaya de frapper Mara d’un coup de pied à la tête. La jeune femme esquiva d’un saut périlleux arrière, puis se releva, en garde.

Corran tenait son sabre laser à deux mains. La lueur de leurs lames faisait briller la sueur sur le visage et les bras nus de Mara et sur le torse de Corran.

Mara attaqua et l’homme para.

Luke s’étonna de la complexité des flots de Force, autour d’eux. Il avait vu des démonstrations plus impressionnantes de la Force, des années auparavant, avant d’en comprendre les subtilités, et observé des combattants plus doués à l’escrime… Mais ce combat-là était différent. Mara et Corran, des amis de longue date, cherchaient chacun à pousser l’autre au-delà de ses limites, se fiant à sa hardiesse, à son habilité et à sa force. Ils passaient sans cesse de la défense à l’attaque.

Le but n’était pas de blesser l’autre, mais de l’obliger à se défendre afin d’éviter les blessures.

Détail plus remarquable encore, ni Mara ni Corran n’étaient en pleine forme. Mara se battait contre une maladie qui la minait et défiait toutes les ressources de Luke. Il savait pourtant que c’aurait pu être pire : sur une centaine de personnes ayant contracté le mal, Mara était la seule survivante.

L’énergie qu’elle puise dans la Force l’a soutenue. Au combat, elle la laisse couler à travers elle.

Corran Horn avait à peine achevé la cure de bacta consécutive aux blessures reçues en affrontant les Yuuzhan Vong, sur Bimmiel, et à neutraliser les effets à long terme d’une biotoxine. Mais retrouver ses aptitudes au combat n’était pas aisé.

Luke vit la poitrine de Corran se soulever sous l’effort.

Nous ne sommes plus aussi jeunes qu’avant…

Mara força Corran à céder du terrain.

Il se tordit la cheville et tomba. Après une roulade arrière, il se releva sur le genou droit et fit tourner la poignée de son sabre laser ; la lame doubla de longueur.

Mara éclata de rire, prête à revenir à la charge. La longueur de sa lame donnait l’avantage à Horn, mais il lui suffirait d’écarter l’arme et de frapper avant qu’il ait le temps de réagir. La surprise provoquée par l’allongement soudain de la lame avait marché sur d’autres adversaires, mais Mara avait depuis longtemps imaginé une parade à cette stratégie.

Elle frappa pour écarter la lame de Corran… Il n’y eut ni crépitement ni étincelle comme elle s’y attendait. La force de son attaque la fit pivoter sur elle-même. Elle recula de deux pas, désactiva son arme et s’inclina en direction de Corran, avant de se laisser tomber à genoux, des mèches de cheveux plaquées sur ses joues par la sueur.

Luke regarda Corran.

— Depuis quand attendais-tu d’utiliser cette tactique ?

A son tour, Horn éteignit son arme et plaça la poignée sur sa position d’origine. Puis il s’assit en tailleur.

— Les Vong m’y ont fait réfléchir. Nous ne les sentons pas à travers la Force, donc nous ne percevons pas où ils sont. Ça les rend difficiles à combattre.

Mara ricana.

— Désactiver ta lame au milieu d’un combat… C’est sacrement risqué !

— Je sais. J’aurais aussi pu modifier sa longueur au moment où tu attaquais. Mais j’avais doublé ma lame pour te faire croire que tu avais une possibilité de me l’arracher, et je l’ai éteinte au moment où tu pensais l’écarter. Si j’avais de nouveau activé l’arme, je t’aurais embrochée.

Luke sentit un frisson lui parcourir l’échine. Il se souvint de son professeur, Obi-Wan Kenobi, son arme levée pour un dernier salut…

Il l’avait éteinte à l’instant où Dark Vador l’avait tué.

Cette tactique a marché à ce moment-là. L’ultime sacrifice, pour la victoire finale…

Le maître Jedi sourit, avançant au centre de la salle d’entraînement. A travers l’immense dôme de transpacier, il voyait les speeders filer dans le ciel de Coruscant. Tout avait l’air normal et paisible. Pourtant, dans les quartiers généraux des Jedi, des complots se tramaient, tels des nuages d’orage s’accumulant à l’horizon.

— Vous vous êtes bien débrouillés, tout compte fait, dit Luke.

Non sans peine, Mara se releva.

— Nous pouvons faire mieux. Nous le devons ! Allons-y !

Corran secoua la tête pour se débarrasser de la sueur qui lui coulait dans les yeux et sur la barbe.

— Je suis encore bon pour un tour, dit-il.

Luke fronça les sourcils.

— Non. Pour le moment, ça suffit !

Un Jedi arrivait à grands pas, sa cape noire flottant derrière lui. Il était mince, avec un visage anguleux et des yeux perçants.

— Bonjour, maître Skywalker.

La façon dont il prononça le mot maître en fit un simple titre, sans une nuance de respect.

— Bonjour à vous, Kyp Durron, répondit Luke sans montrer qu’il n’aimait pas le ton du Jedi. Je pensais que vous arriveriez plus tard.

Kyp s’arrêta à côté des duellistes en sueur.

— J’ai convaincu les autres de se hâter. Nous sommes prêts à réunir le conseil de guerre.

— Ce n’en est pas un. Les Jedi ne font pas la guerre. Nous sommes des protecteurs et des défenseurs, pas des agresseurs.

Corran soupira.

— Bimmiel a été prise par les Vong, Kyp, au cas où vous ne l’auriez pas remarqué. Et Ganner et moi avons agi pour sauver des innocents capturés par l’ennemi. C’était aussi simple que ça.

Kyp foudroya Corran du regard.

— Encore de la sémantique ! Vous avez attaqué les Yuuzhan Vong et vous les avez tués. La seule façon de libérer ceux dont vous étiez responsables ! Peu importe ! Les autres attendent dans l’auditorium. Que dois-je leur dire, maître ?

Luke ferma un instant les yeux.

— Je les remercie d’être venus si vite. Je souhaite qu’ils se détendent et qu’ils passent la soirée à contempler la Force. Leur avis sera écouté avec respect et intérêt. Nous les verrons demain.

— Demain ? Comme vous voudrez, maître, lâcha Kyp, glacial.

Le Jedi s’inclina et tourna les talons. La main sur le manche de son sabre laser, Corran le regarda partir. Mara ne daigna pas tourner la tête, mais Luke sentit de la colère émaner d’elle.

— Je sais que tu le trouves exaspérant…, commença-t-il.

— Exaspérant ? fit Corran. Soit je cache bien mes sentiments, soit tu es gentil avec moi ! Si j’avais le moindre talent de télékinésie, je l’aurais étranglé avec les plis de sa cape !

— Corran ! s’indigna Mara.

— Désolé, je suppose qu’on n’attendrait pas une telle réaction de ma part…

— Pas si directe, non, admit Mara. Il faut être plus subtil. Par exemple, trouver une artère un peu faible dans son cerveau, et la bloquer. Et hop, le tour serait joué !

— Maintenant que tu m’as donné cette bonne idée, je suis vraiment désolé de ne pas avoir de don de télékinésie !

— Arrêtez ! dit Luke. Plaisanter complique notre problème avec Kyp et sa faction. Tous ont grandi dans l’ère postimpériale et tous auraient aimé être les Jedi qui ont écarté la plus grande menace qu’ils aient jamais connue. Ce que j’ai fait en combattant l’Empire – ce que j’ai été obligé de faire –, et voilà comment ils voudraient traiter toutes les menaces. Le sabre laser, expression ultime de la justice… Ils devraient comprendre que ça ne suffit pas, mais comme les Yuuzhan Vong sont étrangers à la Force, ils ne nous laissent, pour les combattre, pas grand-chose d’autre que le sabre laser.

Le Corellien essuya la sueur de sa barbe.

— Et j’imagine que tuer deux Vong à Bimmiel n’a pas aidé à contredire cette thèse, n’est-ce pas ?

— Tu n’avais pas le choix, Corran. Tu as frôlé la mort. Cette leçon n’a pas profité à la faction de Kyp. Tu as été blessé. Nos amis pensent que tu as fait preuve de faiblesse. Ils oublient à quel point les Yuuzhan Vong sont forts. Les admirateurs de Kyp se considèrent comme meilleurs que toi. Si tu peux te défendre contre les Yuuzhan Vong, ils le pourront plus facilement encore. Voilà le fond de leur pensée.

Mara hocha la tête.

— Qu’Anakin en ait tué plusieurs sur Dantooine les a probablement encouragés à sous-estimer les Yuuzhan Vong. La leçon de Dantooine est terrifiante : nos ennemis se soucient plus de devoir que de survie. Les Jedi qui utilisent la peur ou l’intimidation devraient se méfier de ceux que la mort n’effraie pas.

— C’est vrai, mais soyons réalistes, dit Corran. Les Vong sont redoutables et sans pitié. Nous ne les percevons pas à travers la Force. Voilà qui nous enlève beaucoup d’atouts sur lesquels nous comptons habituellement. Il y a de quoi avoir des appréhensions !

— Non, Corran, tu te trompes. Etre Jedi est notre essence, ça n’a rien à voir avec le pouvoir dont nous disposons ou avec nos armes. Je ne cesse pas d’être un Jedi si un ysalamiri me dépouille de la Force. Les autres laissent la peur les éloigner de cette vérité fondamentale. Nous servons la Force, que nos ennemis en fassent partie ou pas.

— Je vois ce que tu veux dire, mais je ne suis pas sûr qu’ils comprennent. La réaction normale à la peur, c’est l’agression. Nous attaquons ceux qui nous ont inspiré de la crainte…

— Ou, ajouta Mara, nous rampons avec l’espoir d’être épargné.

— Je n’aime pas cette idée, Mara, dit Luke.

Sur Belkadan, il avait vu des êtres réduits en esclavage par les Yuuzhan Vong. Certains avaient-ils volontairement accepté leur sort ?

La peur pousse parfois les gens à commettre les actes les plus irrationnels.

Devoir combattre des membres de la Nouvelle République pour repousser les Yuuzhan Vong faisait frémir Luke.

— Pourtant, Corran n’a pas entièrement tort. Kyp a parlé de « conseil de guerre », et c’est un signe évident que certains veulent frapper durement les Yuuzhan Vong. Mais notre mission est claire : nous irons sur les mondes frontaliers évacuer les populations. Et nous coordonnerons les défenses. Dantooine est un bien triste exemple de la façon dont les choses peuvent tourner, mais nous avons tout de même secouru des gens. Les rescapés nous doivent leur salut.

— Et les missions de reconnaissance ? demanda Mara. Sur Belkadan, elles ont porté leurs fruits. Nous avons beaucoup appris grâce à la tienne. Corran et Ganner ont rapporté des informations vitales de Bimmiel, y compris les échantillons de biotechnologie et le Yuuzhan Vong momifié. Plus nous en saurons sur eux, mieux ce sera !

— Je suis d’accord, mais avec moins de cent Jedi et des centaines de mondes comme cibles potentielles, comment répartir nos effectifs ?

— Sur ce point, nous perdrons la bataille politique, admit Corran. S’il n’y a pas de Jedi postés sur un monde que les Vong attaquent, on nous blâmera. S’il y a trop peu de Jedi pour les arrêter – et ça arrivera –, nous serons aussi tenus pour responsables. Je ne suggère pas de baisser les bras, mais ceux que nous n’aurons pas pu aider seront furieux contre nous.

« Ce qu’a dit Mara entraîne une autre considération : les seuls endroits où nous savons à coup sûr qu’il y a des Vong, ce sont les mondes qu’ils ont conquis. Je peux examiner les données sur les planètes envahies et voir s’il y a moyen de les infiltrer. Ce ne sera pas facile.